La vie est un sport de combat par Christian Authier (L'Opinion Indépendante)
Un roman où se feraient sentir les influences de Jean-Claude Van Damme, Philippe Muray, Jean Clair, Antoine Blondin et Pierre Bourdieu ? C’est l’étonnant cocktail réalisé de main de maître par Jean-Claude Lalumière.
Le titre du troisième roman de Jean-Claude Lalumière reflète assez mal la variété de tons que l’auteur du Front russe et de La Campagne de France déploie. Comme un karatéka belge qui fait du cinéma trouve
son origine dans la scène, d’une trentaine de pages, au cours de
laquelle le narrateur rencontre, un soir, Jean-Claude Van Damme au bar
du Lutetia. Scène cocasse et drôle où le comédien belge s’exprime dans
ce franglais qui lui a donné, voici quelques années, une nouvelle et
paradoxale popularité.
Splendeurs et misères
Avant
cela, on suit la destinée d’un provincial – natif de Macau dans le
Médoc – qui dit à son tour «A nous deux Paris» avec le rêve de devenir
cinéaste. Une fois ses illusions perdues, il se contentera d’être «le
factotum d’une galerie d’art contemporain». La routine et la présence
bienveillante de son vieux patron ne vont pas trop mal au teint de cet
homme tranquille qui a pris comme épouse une jeune femme, Anne-Sophie,
issue d’une bonne famille. Jusqu’à ce qu’une lettre de son frère – «cinq
petites lignes irrégulières» et une coupure de presse parue dans Sud
Ouest – bouleverse sa «petite vie bien rangée». Reviennent alors «les
sombres forêts de son enfance», la honte de ses origines populaires, de
sa famille et de son père qui était ouvrier agricole dans un domaine
viticole.
Les lecteurs des deux premiers romans de Jean-Claude Lalumière retrouveront ici le trait mordant du satiriste, son sens du burlesque et du loufoque, notamment dans la description irrésistible du monde de l’art contemporain où la cuistrerie se marie au snobisme. Le rire n’empêche pas les coups de griffe contre des collectionneurs qui sont d’abord des spéculateurs, les critiques des artistes ratés et les artistes des rebelles institutionnels : «Jamais le génie créatif n’entre en considération, peut-être parce que le public, intimidé par l’injonction généralisée de la nécessité d’un savoir académique, n’écoute plus ses sens, doute de ses goûts, craint de ne pas être dans la norme ; un comble dans un milieu qui revendique la subversion. Trop volatile, le talent a laissé place à des indicateurs plus concrets : la cote, les chiffres de vente, les signes extérieurs de richesse (…) Quand l’artiste-artisan du Moyen Âge s’adressait au plus grand nombre, l’artiste-Créateur d’aujourd’hui ne souhaite être compris que d’une élite.»
Les lecteurs des deux premiers romans de Jean-Claude Lalumière retrouveront ici le trait mordant du satiriste, son sens du burlesque et du loufoque, notamment dans la description irrésistible du monde de l’art contemporain où la cuistrerie se marie au snobisme. Le rire n’empêche pas les coups de griffe contre des collectionneurs qui sont d’abord des spéculateurs, les critiques des artistes ratés et les artistes des rebelles institutionnels : «Jamais le génie créatif n’entre en considération, peut-être parce que le public, intimidé par l’injonction généralisée de la nécessité d’un savoir académique, n’écoute plus ses sens, doute de ses goûts, craint de ne pas être dans la norme ; un comble dans un milieu qui revendique la subversion. Trop volatile, le talent a laissé place à des indicateurs plus concrets : la cote, les chiffres de vente, les signes extérieurs de richesse (…) Quand l’artiste-artisan du Moyen Âge s’adressait au plus grand nombre, l’artiste-Créateur d’aujourd’hui ne souhaite être compris que d’une élite.»
Humeurs vagabondes
On
n’a rien dit de l’art et de la manière de Lalumière sans évoquer son
style, cette écriture fluide et rythmée qui décrit les décors usés de
Saint-Germain-des-Prés avec la même grâce qu’Antoine Blondin dans Monsieur Jadis.
Morceaux choisis : «Je me suis engagé dans la rue de l’Abbaye et j’y ai
trouvé une quiétude toute provinciale que la rumeur de la circulation
automobile du boulevard Saint-Germain dérangeait à peine.» ; «Soudain,
le monde arabe a surgi devant moi. Telle la proue d’un navire échoué,
son institut était posé là au milieu de la nuit». Pour autant, cette
délicatesse, ce pas de côté poétique n’occultent pas l’amertume, les
tourments ou la colère d’un homme qui a passé une part de sa vie à jouer
un rôle, à s’inventer une apparence et une surface sociales. D’où un
sentiment de déracinement et de solitude qui nourrit un souffle
anarchisant que suffit à provoquer la vision d’un lecteur du Figaro :
«Je ne peux m’empêcher de penser que les lecteurs de ce journal font
partie du camp d’en face. C’est plus fort que moi, la simple vue de ce
titre me rend ceux qui l’ont en main antipathiques (…) je rejette de
même, sans raison, les lecteurs de L’Humanité.
Je ne perçois rien de sympathique dans le folklore militant que l’on
observe sur les marchés le dimanche. Pas plus que je ne goûte le
progressisme bien-pensant des lecteurs d’une presse plus consensuelle.
Je ne suis plus d’aucune appartenance. Je suis un apatride social. Par
le rejet de ma culture d’origine, par l’impossibilité de me sentir
complètement à l’aise avec les codes de la classe dans laquelle
j’évolue, j’ai mis en place les conditions de mon déracinement
communautaire. Je ne suis plus d’aucun bord, plus d’aucun milieu.»
Peut-on être d’aucun milieu ? Pas si sûr. Et le narrateur de Comme un karatéka belge qui fait du cinéma découvre qu’il «n’est pas possible de s’affranchir sans dommages des rituels ancestraux.» Alors, il faudra revenir au cimetière du village natal, à la maison du père, retrouver les vivants et les morts, fouiller dans les boîtes à souvenirs renfermant des photos témoins d’un bonheur que l’on ne soupçonnait pas et que l’on a méprisé : «Ils sont jeunes, beaux, habillés avec une élégance que je ne leur ai jamais connue. Ils n’ont pas l’air endimanchés pourtant. Il se dégage d’eux une aisance naturelle.» Des liens jusque-là invisibles et inconnus apparaissent, tranchants comme des lames de rasoir. Jean-Claude Lalumière signe un roman aussi drôle qu’émouvant. Ses humeurs vagabondent pour notre plus grand bonheur. On dit merci.
Peut-on être d’aucun milieu ? Pas si sûr. Et le narrateur de Comme un karatéka belge qui fait du cinéma découvre qu’il «n’est pas possible de s’affranchir sans dommages des rituels ancestraux.» Alors, il faudra revenir au cimetière du village natal, à la maison du père, retrouver les vivants et les morts, fouiller dans les boîtes à souvenirs renfermant des photos témoins d’un bonheur que l’on ne soupçonnait pas et que l’on a méprisé : «Ils sont jeunes, beaux, habillés avec une élégance que je ne leur ai jamais connue. Ils n’ont pas l’air endimanchés pourtant. Il se dégage d’eux une aisance naturelle.» Des liens jusque-là invisibles et inconnus apparaissent, tranchants comme des lames de rasoir. Jean-Claude Lalumière signe un roman aussi drôle qu’émouvant. Ses humeurs vagabondent pour notre plus grand bonheur. On dit merci.